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"Ian Kodes gagne un tournoi à Wimbledon"
titrait Tennis de France...
(54) 1973
Le boycott de Wimbledon
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La paix enfin signée entre Lamar Hunt et la fédération internationale, le tennis professionnel semblait avoir retrouvé confiance et sérénité. Signe de ce renouveau, la vieille coupe Davis devenait elle aussi open. Autoriser les pros à participer, c'était, à n'en pas douter, donner une nouvelle jeunesse à la vieille épreuve, qui avait été portée à bout de bras par les seuls Smith et Nastase depuis 4 ans. Nouvelle jeunesse ? Pas si sûr quand on regarde ce qui se passa alors avec l'équipe australienne. Tout le monde attendait le retour de Laver et Newcombe, mais ces deux joueurs résidents aux États-Unis, n'étaient guère disposés à venir disputer les premiers tours éliminatoires de la zone asiatique. Le capitaine Neale Fraser dut se résoudre à sélectionner Ken Rosewall, 38 ans et Mal Anderson 37 ans ! Rosewall retrouvait ainsi la coupe Davis 20 ans après sa première victoire, et Mal Anderson  15 après sa dernière sélection ! Mais les deux "vieux" acceptèrent leur sélection avec l'enthousiasme de leurs 20 ans. Épaulés par Geoff Masters et Colin Dibley, les deux anciens  réussirent sans difficultés à qualifier leur équipe pour la finale interzone !
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Si tout semblait bien se passer pour l'équipe d'Australie, il n'en était pas de même partout. Car cette  nouvelle possibilité offerte aux fédérations de sélectionner n'importe quel joueur posait un problème de taille:  Les professionnels, qu'ils soient indépendants ou sous contrat, devaient-ils se soumettre à l'autorité de leur fédération nationale, ou pouvaient-ils choisir librement d'accepter ou de refuser leur sélection en coupe Davis en fonction de leur intérêt particulier ? Côté australien, la réponse était claire: Laver et Newcombe pouvaient décliner leur sélection tout gardant la possibilité de participer aux phases finales de la compétition. Ce ne fut malheureusement pas l'attitude de la fédération yougoslave. Voici le film des événements :
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18-20 mai : La Yougoslavie rencontre la Nouvelle-Zélande à Zagreb. Elle perd la rencontre 3/2 et Pilic, le N°1 yougoslave ne participe pas à la rencontre. Il disputait alors le tournoi WCT de Las Vegas.
Le 20 mai : La fédération yougoslave affirme que Pilic avait accepté sa sélection et qu'il n'a pas tenu ses engagements. Elle suspend donc Pilic pour neuf mois et demande à la fédération internationale d'appliquer la sanction au niveau international.
Le 21 mai : La FILT prévient la fédération française que Pilic ne pourra pas jouer à Roland-Garros. L'ATP demande alors les preuves que Pilic avait bien accepté sa sélection. l'ATP laisse même entendre que si ces preuves ne sont pas fournies, aucun de ses membres ne participera à Roland-Garros par solidarité.
Le 22 mai : C'est la panique du côté de la fédération française. Si les 80 joueurs professionnels s'abstiennent, c'est le fiasco financier assuré, le public français n'a pas la même fidélité que le public de Wimbledon ! La FILT propose donc à Pilic de faire appel pour gagner du temps et permettre au tournoi de Roland-Garros de se tenir normalement. Le comité d'urgence de la FILT doit se réunir le 1er juin en présence de Pilic, de l'ATP et de la fédération yougoslave.
Le 1er juin, la FILT après avoir entendu tout le monde, confirme la suspension de Pilic pour un mois. Cette décision ne sera rendue publique qu'après la finale de Roland-Garros. Pilic sous les feux de l'actualité en profite pour se faire remarquer et fait le meilleur tournoi du grand chelem de sa carrière. Le 6 juin, Nastase écrase le yougoslave en finale.
Le 6 juin, commencent les internationaux de Rome, directement menacés par la décision de la FILT. Pour sauver le tournoi, Giorgio Neri, président de la fédération italienne, passe outre et admet Pilic dans le tableau.
Le 14 juin, Pilic n'a pas pu s'inscrire aux épreuves précédant Wimbledon, ni à Wimbledon qui commence le 25 juin. Pour l'ATP, c'est inacceptable, et elle maintient sa décision de solidarité avec Pilic. L'ATP affirme par ailleurs qu'aucune preuve n'a été fournie de l'engagement de Pilic à jouer la coupe Davis. Une entrevue de la dernière chance entre Allan Heyman, président de la FILT, Herman Davis président de Wimbledon et Cliff Drysdale représentant de l'ATP ne donne aucun résultat. Le bureau de l'ATP se réunit dans la nuit et vote par 7 voix contre 1 et deux abstentions le boycott de Wimbledon.
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Nikki Pilic; l'homme par qui le scandale arriva...
  A regarder de plus près ce film des événements, on croit rêver. Comment en si peu de temps en est-on arrivé là ? C'est un retour de 10 ans en arrière incompréhensible, alors que les motivations et les acteurs du drame qui avaient mené à la décision de l'open en 1968 sont quasiment les mêmes qu'en 1973. 
Personne ne sait ce qui s'est réellement passé entre Pilic et sa fédération avant la rencontre de coupe Davis. Ce qui est sûr, c'est que Pilic, professionnel sous contrat depuis 1968, gagnait plus d'argent en jouant les tournois de la WCT qu'en acceptant une sélection pour une épreuve par équipe à laquelle il ne participait plus depuis 5 ans. Qu'il  ait pu y avoir un malentendu entre la fédération et son joueur N°1, c'est probable. L'affaire aurait du en rester là. Pilic, joueur professionnel indépendant de  sa fédération avait parfaitement le droit de gagner sa vie comme il l'entendait. 
L'attitude de Herman Davis, président de Wimbledon est plus surprenante: lui qui avait réussi à forcer la décision de l'open face aux fédérations conservatrices, adopte une attitude neutre. Pourquoi n'a-t-il pas ignoré la suspension de Pilic, comme l'avait fait avant lui son collègue italien ?
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79 joueurs professionnels sur 82 suivirent les consignes de l'ATP, trois d'entre eux seulement refusèrent de suivre leur syndicat: Ilie Nastase qui craignait de se faire radier par sa fédération, Roger Taylor qui en tant qu'anglais prétendait respecter avant tout son public, et pour des raisons inconnues, le modeste australien Ray Keldie. Tous les joueurs de l'Est, officiellement amateurs et dépendants de leur fédération, sont présents. Mais certains pensent déjà à l'après boycott. Comment réagiraient les membres de l'ATP si Nastase ou Taylor profitaient de l'occasion pour remporter le titre tant convoité ? Heureusement, Nastase eut le bon goût de perdre en huitième de finale contre un étudiant américain Alex Mayer. Le roumain eut moins de scrupule dans l'épreuve de double qu'il remporta associé à Jimmy Connors. Roger Taylor fit le spectacle jusqu'en demi-finale où sa défaite 7-5 au cinquième set contre Kodes lui permit d'éviter d'avoir des comptes à rendre à ses collègues... L'anglais eut en tout cas droit tout au long du tournoi à des ovations monstres de la part du public reconnaissant. 

Nastase Connors : une équipe de double explosive. 
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Une scène de la  "Borgmania", Wimbledon 1973
Contraints de refaire le tableau au dernier moment, les dirigeants de Wimbledon firent appel aux vieilles gloires et aux jeunes espoirs. C'est ainsi que les anciens Pietrangeli, Sedgman, Fraser entre autres sont admis directement dans le tableau final. Les têtes de série sont aussi considérablement rajeunies: Bjon Borg 17 ans, champion junior l'année précédente est N°6. Jimmy Connors, 20 ans, est N°5. Ce sont eux les nouvelle vedettes de Wimbledon. Borg surtout devint le chouchou des lycéennes anglaises, provoquant même des mini-émeutes sur son passage. Les séances d'autographes d'après match devinrent des véritables problèmes pour les arbitres qui voyaient pour la première fois les courts de tennis envahis dès la balle de match par des hordes de jeunes filles hurlantes. Le suédois ne perdit qu'en quart de finale contre Roger Taylor, 7-5 au cinquième set !
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Le boycott n'eut aucun effet sur le succès populaire du tournoi. Wimbledon, fort de ses traditions presque centenaires, était la fête du tennis, les anglais ne changèrent pas leurs habitudes. Les journalistes ne furent pas non plus déçus avec Bjon Borg et les fiançailles plus ou moins supposées de Jimmy Connors avec Chris Evert. Les conférences de presse faisaient le plein, et on eut quelques fois l'impression d'une passassion de pouvoir en cours. Les anciens, en s'abstenant, n'avaient ils pas pavé la route de leurs successeurs un peu trop facilement ?

Roger Taylor



Bjon Borg, tête de série N° 6
Wimbledon 1973

Kodes vainqueur..  mais de quoi ?
Ce sont finalement deux joueurs de l'est qui arrivèrent en finale et c'était mieux ainsi. Le tchèque Kodes et le russe Metreveli n'étaient pas membre de l'ATP, ils étaient attachés à leur fédération nationale, ils n'avaient donc pas les scrupules apparents ou supposés d'une vedette comme Nastase. Le tchèque vainqueur en trois petits sets (6-1 9-8 6-3) ne sauta pas de joie, esquissa un petit sourire et brandit la coupe sans trop de conviction. Personne n'était dupe mais enfin... Il fallait un vainqueur dans ces circonstances pénibles, et le tchèque était probablement celui qui le méritait le plus. Sa place de finaliste à Forest Hills deux mois plus tard devait montrer que ce succès sur herbe n'était pas un hasard.

Si le boycott de Wimbledon n'eut pas l'effet escompté sur le public, il eut au moins pour conséquence positive de faire de l'ATP un interlocuteur crédible et respecté. Avec la disparition des promoteurs privés comme Lamar Hunt, les joueurs n'avaient plus d'employeurs. L'ATP allait donc progessivement prendre en main les intérêts des joueurs, en partenariat avec la fédération internationale et les tournois du grand chelem. 

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La crise passée, tout semblait rentrer dans l'ordre. L'ATP et la FILT étaient prêts à mettre en place des mécanismes pour éviter tout nouvel incident. Le tennis professionnel pouvait repartir du bon pied. C'était compter sans les promoteurs privés, intéressés par le succès grandissant du tennis et les énormes quantités de dollars qui y circulaient. Une nouvelle organisation, l'International Tennis Team, se mettait en place aux États-Unis et commençait à recruter à grands coups de dollars. Une nouvelle guerre se préparait déjà...
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Dernière mise à jour : 10 avril 2010
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Avril 2010. .