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Borotra, Cochet, et Lacoste : Caricatures pour des images 
cadeau de paquets de cigarettes, 1928
(9) 1922-1926 : 
Les Mousquetaires à 
la conquête de la 
coupe Davis

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English translation

Épisode précédent : 1924, Vincent Richards, double champion Olympique.

Épisode suivant : 1925-1927, Le championnat de France devient international.

Voici enfin la première, et peut-être la plus belle, des épopées du tennis, comme la si bien nommée Toto Brugnon dans son livre de souvenirs : "L'épopée de Mousquetaires". Et ce n'est pas seulement parce que je suis français que je vais raconter avec émotion cette aventure si particulière. Mais c'est parce qu'elle a quelque chose d'unique, autant par la personnalité et le talent de ces quatre grands champions, que par la durée de leur chevauchée fantastique, sur tous les courts de tennis du monde, qui dura plus de dix ans. Et que dire de leur esprit d'équipe, leur domination, aussi bien en simple qu'en double. Enfin, il faut rendre hommage à leur unique rival, l'immense Tilden, qui jusqu'à 37 ans passés, ne renonça jamais à prendre sa revanche! Leur histoire a peut-être, plus que toutes les autres, forgé la légende du grand chelem telle que nous la connaissons encore aujourd'hui. Et les français, soixante-dix ans après, rêvent encore de leur trouver des successeurs... 

La lutte pour la coupe Davis reprend en 1919. Les Américains s'étant sportivement abstenus en considérant qu'ils avaient moins souffert que d'autres de la guerre, l'Australie n'en conserve pas moins la Coupe en 1919 contre les Anglais. Pour la première fois, la France remporte un succès sur la Belgique, grâce à Decugis et Laurentz, et n'est battue à Deauville, contre les Anglais, que trois à deux seulement, Gobert remportant un simple et Gobert-Laurentz gagnant le double sur le vieux Roper Barrett et O.Turnbull.

Dès 1920, les Américains se mettent en campagne. Tilden et Johnston écrasent successivement la France et l'Angleterre et font subir le même sort aux Australiens, bien que le grand Brookes ait repris du service en simple pour la circonstance.

1921
1922
1923
1924
1925
1926

Et nous voici en 1921. Douze nations s'engagent et l'organisation de la coupe Davis, victime de sons succès et de sa mondialisation, va commencer à devenir un véritable casse-tête. Parmi les nouveaux venus, on trouve le Japon, l'Argentine, les Indes, les Philippines, la Tchécoslovaquie, le Danemark. Et les difficultés commencent: l'Argentine et les Philippines sont forfaits, incapables au dernier moment d'aligner une équipe. Les Belges battent la Tchécoslovaquie, mais ne peuvent financer leur voyage en Amérique pour le tour suivant... Les Anglais battent les Espagnols, puis partent pour l'Amérique rencontrer les Australiens, déjà vainqueurs du Canada et du Danemark. Privés de leurs meilleurs joueurs Brookes et Patterson, les Australiens l'emportent quand même sur l'Angleterre 5/0.

Et les Français dans tout cela ? Ils sont battus sans gloire au premier tour à Paris par les Hindous. En l'absence de Gobert (champion de France 1911 et 1920), malade, Samazieuhl et Brugnon perdent 3/2. Samazieuhl a 32 ans, Brugnon 26. Tout cela ne laisse pas espérer de lendemains qui chantent. Et pourtant...


Shimidzu à Wimbledon, 1920
La grande surprise vient des Japonais, vainqueur des Hindous, et qui, pour leur coup d'essai font un coup de maîtres. Les petits Nippons Shimidzu et Kumagae éliminent en effet l'Australie en finale et ont ainsi l'honneur d'affronter les tenants Américains. C'est une défaite sans appel contre Tilden et Johnston. Mais Shimidzu prend les deux premiers sets à Tilden. Il ne perd le troisième que par 7-5, et, dans les deux suivants, il s'effondre.

Shimidzu n'est d'ailleurs à cette époque pas tout à fait un inconnu. Il a été, l'année précédente, finaliste des "all comers" à Wimbledon contre le même Tilden, et bien que battu en trois sets, avait mené à chaque fois avant d'être rejoint.

Mais quel style! Quel extraordinaire joueur, avec une technique héritée du ping-pong, une prise de raquette absolument incroyable, qui laisse rêveur. Pas de service, pas de jeu de volée, mais un sens du jeu remarquable, une résistance à toute épreuve, un placement toujours parfait, et une réussite basée sur des retours dans les pieds et des lobs ajustés au millimètre.

Regardez cette photo... Avec son petit chapeau de touriste, on a vraiment du mal à imaginer un finaliste de Wimbledon.

1922 : En 1922, quatorze nations s'inscrivent. La France bat le Danemark, grâce à Jean Borotra et Henri Cochet, deux autres Mousquetaires qui entrent en lice à cette occasion. Cochet est le tout nouveau champion de France et champion du monde sur terre battue, il a 21 ans. Borotra a 24 ans, il n'en est qu'à sa troisième année de tennis, mais ses antécédents à la pelote basque et une condition physique sans faille lui permettent de rivaliser avec les meilleurs. Il a été champion du monde de double avec Cochet. Et ils ont un moral de Coupe. Ne gagnent ils pas leur double sur Tegner-Worm sur le score de 3-6, 6-2, 2-6, 10-8, 6-2 ? 

C'est ensuite, pour Cochet et Gobert, le premier voyage en Amérique, où les Australiens Patterson et O'Hara Wood ne les battent que difficilement. Cochet bat O' Hara Wood, Gobert ne succombe qu'en cinq sets devant Patterson, et en double nos deux hommes poussent la fameuse paire Patterson-O' Hara Wood à 10-8 au cinquième set. Voici une première campagne honorable et pleine de promesse...



Contre la Danemark, 1922:
Borotra, Gobert, Cochet
et Allan Muhr (Cap.)
1923 : Le nombre d'engagés monte, obligeant les organisateurs à innover en instituant le système des deux zones, pour éviter aux représentants des pays lointains des déplacements intempestifs. On créa donc une zone européenne et une zone américaine, les vainqueurs de chaque zone devant se rencontrer pour désigner la nation qui rencontrerait les tenants dans le challenge round. Cette réforme fut certainement très salutaire, car, à partir de ce moment, les nations inscrites furent toujours très nombreuses. La plus grande liberté était d'ailleurs laissée à chaque pays de s'engager dans la zone de son choix.

C'est contre le Danemark, au premier tour, que le quatrième Mousquetaire René Lacoste, alors âgé de 19 ans, est sélectionné pour la première fois aux côtés de Cochet et Samazeuilh. Son premier match contre le Danois Larsen fut un échec-8-6 au cinquième set. 
 


Première apparition des Mousquetaires au complet 
contre l'Irlande, 1923:
Cochet, Brugnon, Muhr (Cap), Lacoste et Borotra.
Mais, contre l'Irlande au tour suivant, pour la première fois, sont sélectionnés ensemble les quatre Mousquetaires : Cochet et Borotra enlèvent trois simples sur quatre et Brugnon-Lacoste le double. La grande équipe des Mousquetaires français est formée. Brugnon va vite s'affirmer comme un des meilleurs équipiers de double et le complément indispensable de ses trois compagnons.

Les français vont alors battre les Suisses, puis les Anglais à Deauville. C'est au cours de cette rencontre qu'est formée pour la première fois la fameuse équipe Cochet-Brugnon dont nous reparlerons. Les Français font pour la deuxième fois le voyage en Amérique. Seuls, Lacoste et Brugnon sont du voyage, secondés par P.Hirsch.

Les Australiens l'emportent facilement 4/1 mais Lacoste bat le remplaçant australien Mac Innes et l'équipe Brugnon-Lacoste ne succombe que 9-7 au cinquième set devant Anderson-Hawkes. Dans le challenge round, les Américains l'emportent 4/1, Anderson faisant subir à Johnston sa première défaite en coupe Davis.

1924 : Dix-sept nations s'engagent cette année là, avec pour la première fois une équipe chinoise qui fait quinze jeux au total contre les Australiens! En Europe, plus personne ne conteste la suprématie de l'équipe de France. Elle bat successivement l'Irlande, les Indes, l'Angleterre et la Tchécoslovaquie en finale. Les Mousquetaires, sans Cochet retenu en Europe par sa situation professionnelle, s'embarquent pour l'Amérique défier une nouvelle fois les Australiens en finale interzone.  Ils échouent cette fois de justesse, battus seulement 3/2 par Patterson et O'Hara Wood, mais Lacoste, en gros progrès, remporte ses deux simples.

En finale, Tilden et Richards (qui remplace Johnston mal remis d'une maladie) gagnent tous leurs matchs et Tilden Johnston le double. 5/0 pour les États-Unis !

C'est en 1924 qu'un Français remporte pour la première fois un tournois du grand chelem : Jean Borotra remporte son premier Wimbledon contre un autre Français René Lacoste. C'est pour les Mousquetaires la première d'une longue série de victoires dans les tournois du grand chelem, où ils seront invaincus jusqu'en 1930.


Tilden à l'époque de sa 
suprématie en coupe Davis

Affiche du challenge round 1925
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
1925 : Le nombre d'inscriptions se monte à vingt-cinq, un record ! Les Français gagnent une fois de plus facilement tous leurs matchs de la zone Européenne en battant la Hongrie, l'Italie, l'Angleterre et la Hollande en finale. 

Seuls Borotra et Lacoste s'embarquent pour l'Amérique. Et enfin les Français battent les Australiens au cours d'une rencontre que Borotra déchaîné va pratiquement remporter à lui tout seul : il bat Anderson le premier jour et prend à son compte le double, associé à un Lacoste en petite forme. Le troisième jour, sa victoire sur Patterson permet à l'équipe de France de l'emporter 3/1 et d'accéder pour la première fois au challenge round contre les terribles américains.

Pour cette première confrontation, Borotra et Lacoste sont battus 5/0. Williams-Richards sont trop forts pour Borotra-Lacoste pourtant récents vainqueurs de Wimbledon. Johnston gagne facilement ses deux matchs, mais Tilden se voit longuement accroché par Lacoste qui ne rate rien et impose sa régularité. Tilden sauve même une balle de match au troisième set : 3/6 10/12 8/6 7/5 6/2. Ouf ! Le grand Tilden a eu chaud !

1926 :comme les autres années, les Français dominent tous leurs rivaux européens : Danemark, Tchécoslovaquie, Suède, Angleterre. Et pour la première fois, l'équipe des Mousquetaires au grand complet s'embarque pour l'Amérique, Cochet étant libéré de ses soucis professionnels. 

Les Australiens s'étant abstenus, ce sont les Japonais qu'affrontent les Mousquetaires en finale interzone. Cueillis à froid après leur voyage, Lacoste et Cochet se font surprendre par l'excellent Harada et Cochet se fait même accroché par Tawara, mené 2 sets à zéro, et 5 jeux partout ! Les Français l'emportent finalement 3/2, mais leur arrivée tardive est une erreur qui ne sera pas renouvelée l'année suivante...

La finale contre les États-Unis est une nouvelle défaite. Mais si Johnston gagne facilement ses deux simples et si Williams-Richards sont intraitables en double contre Borotra-Brugnon, Lacoste a l'immense satisfaction de battre Tilden dans le dernier simple. Certes, la rencontre n'était pas décisive, mais c'est la première défaite de Big Bill depuis 1919 ! Lacoste a 22 ans, et maintenant, tous les espoirs lui sont permis...


Harada, vainqueur de Lacoste 
et de Cochet.

Lacoste aux USA, 1926.
La revanche eut lieu plus tôt que prévue : une semaine plus tard, aux championnats américains à Forest Hills, les quarts de finale opposent respectivement Lacoste, Cochet, Borotra et Brugnon à Williams, Tilden, Johnston et Richards.  A la surprise générale, seul Richards échappe au désastre. Tilden est battu par Cochet 8/6 au cinquième set après avoir eu deux balles de match. C'est sa première défaite à Forest Hills depuis 1919! Quant à Borotra, il règle en 5 sets un vieux compte avec Johnston à qui il fait subir sa première défaite dans ce même tournoi par quelqu'un d'autre que Tilden !

De tous ces matchs difficiles, c'est Lacoste qui  sort le plus frais de son match contre Williams. Face à Cochet, mené deux sets à zéro, il finit par profiter de la fatigue de son camarade pour le remonter. En finale, il bat facilement Borotra 6/4 6/0 6/4.

C'est la première victoire d'un français à Forest Hills et la première d'un étranger depuis Laurie Doherty en 1903. Lacoste est le premier à reconnaître que cette victoire n'est pas individuelle mais bien celle de toute une équipe qui a fait un remarquable travail d'ensemble. 1926 est d'ailleurs une année faste pour les Mousquetaires qui gagnent tous les tournois du grand chelem auxquels ils ont participé : Cochet à Paris, Borotra à Wimbledon et enfin Lacoste en Amérique. Ils sont classés tous les trois ensemble N°1 mondial à la fin de l'année, à la place de Tilden. La coupe Davis semble enfin à leur portée.

Épisode précédent : 1924, Vincent Richards, double champion Olympique.
Épisode suivant : 1925-1927, Le championnat de France devient international.








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Dernière mise à jour : 10 Août 2000
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