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(66) 1979 :
Connors à Roland-Garros
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En août 1978, à l'issue d'une cinquième saison aussi déficitaire que les précédentes, la WTT, organisatrice des Intervilles aux États-Unis, se déclare en faillite. Pour Philippe Chatrier, nouveau président de la fédération internationale, c'est une grande victoire et pour Roland-Garros, un immense espoir. Seul contre tous en 1974, le dirigeant français avait déclaré la guerre aux promoteurs privés qui prétendaient régenter le calendrier tennistique de mai à fin août au détriment de la saison européenne sur terre battue. Philippe Chatrier avait donc exclu du tournoi de Roland-Garros tous les joueurs sous contrat avec les Intervilles. En 1974, Connors qui avait peut-être raté un grand chelem, avait fait un procès à la fédération française, puis avait rompu tout contact. En 1977, Borg lui-même avait été banni, coupable d'avoir signé avec le Diable, tout comme Nastase en 1976 et 78... Côté féminin, c'était pire encore avec l'absence depuis 1976 des 10 premières joueuses du monde...
Pendant 5 ans, loin de Roland-Garros, Connors avait accumulé les titres et les places de finaliste dans les tournois du grand chelem ! Les finales Borg-Connors à Wimbledon et à l'US Open étaient devenues des classiques de la saison tennistique, et le public français en était injustement privé ! On se consolait avec Borg et Vilas, mais... il manquait quelque chose, ou plutôt quelqu'un ! Le prestige du tournoi de Roland-Garros en était sérieusement affecté, sa crédibilité menacée. Que valait un tournoi du grand chelem qui 5 années de suite, avait du se passer du N°1 au classement ATP ?
Avec la fin des Intervilles et le retour des bannis, l'année 1979 est le début d'une nouvelle ère pour le tournoi de Roland-Garros. Mais l'annonce tant attendue de l'arrivée de Connors n'arrive finalement qu'au tout dernier moment. L'américain, rancunier, se fait quelque peu désirer et son coup de téléphone la veille du tirage au sort surprend agréablement tout le monde, même s'il était espéré: à tout hasard, une wild-card lui avait été réservée jusqu'au dernier moment au cas où...  Un bonheur n'arrivant jamais seul, la participation de Bjorn Borg, blessé à la cuisse au tournoi de Hambourg, est elle aussi confirmée. Avec une probable finale Borg-Connors, les organisateurs français peuvent enfin espérer voir leur tournoi se hisser définitivement au niveau de Wimbledon ou de Flushing Medow. Seule ombre au tableau, le forfait de John McEnroe victime de son formidable début de saison. Seul joueur à avoir battu dans un même tournoi Borg et Connors, le jeune américain se blesse après sa brillante victoire à Dallas en finale de la WCT début mai. Ce sera le seul grand absent de ce Roland-Garros millésime 79.

Une image insolite : Borg à terre lors du tournoi de
Hambourg le 14 mai. 

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L'entrée de Connors sur le central. 
L'arbitre a l'air un peu inquiet...
Le mardi 25 mai 1979 , James Scott Connors pénètre pour la première fois sur le central de Roland Garros. Un événement espéré, désiré, attendu, mais Connors est enfin là, prêt à conquérir le seul grand titre qui manque à son palmarès. A 27 ans, l'américain est à un tournant de sa carrière. Menacé par McEnroe, épuisé par sa course poursuite derrière Borg depuis deux ans, "Jimbo" vient à Roland-Garros pour redorer son blason et faire taire les critiques qui annoncent son déclin. Il est venu, c'est pour aller jusqu'en finale affronter Borg, et on verra enfin qui est le plus fort sur terre battue. 

Ce n'est plus le Connors insolent et prétentieux de ses débuts. Marié depuis peu et bientôt père d'un petit garçon, l'américain s'est quelque peu assagi. Si Connors est venu pour gagner comme dans tous les tournois où il s'inscrit, il est venu aussi et surtout pour conquérir le public parisien. L'américain a 5 ans d'absence à se faire pardonner, et le public l'adopte immédiatement. Connors a lui tout seul rempli le stade et dès le premier tour, il est littéralement porté par le public. Humour, sportivité exemplaire, gestes expréssifs mais sans vulgarité, Connors s'amuse sur le court. Avec ses balles rasantes, et ses prises de risque maximum, il devient vite le chouchou du public qui le prèfère à Borg et son tennis mécanique et dévastateur... Il en rajoute même un peu, juste ce qu'il faut pour faire admirer son tennis offensif, écraser ses adversaires, et faire durer le plaisir. Un set perdu contre Orantes, un autre contre Dibbs (deux bons spécialistes de la terre battue), et le voilà en demi-finale où il doit affronter en théorie Vilas, tête de série N°4

...

Mais dans l'autre quart du tableau, rien en se passe comme prévu. Vilas qui a modifié son jeu pour progresser sur herbe - il a gagné les internationaux d'Australie en décembre - avance péniblement. Il se fait longuement accroché en 5 set par un jeune américain enthousiaste Gene Mayer qui utilise une raquette à moyen tamis - une nouveauté qui commence à faire école... En quart de finale, il rencontre Victor Pecci, un paraguayen peu connu qui vient d'écraser Harold Salomon, l'infatigable renvoyeur et finaliste en 76. Ce grand gaillard d'un mètre 90 au visage de jeune premier et au diamant à l'oreille n'avait guère fait parler de lui depuis sa victoire dans le tournoi junior en 1973. Classé depuis entre la 20eme et la 40eme place, Pecci utilisait son service et son tennis offensif naturel pour faire quelques bonnes performances ici ou là. Il s'entraînait peu, et gagnait suffisament bien sa vie pour satisfaire sa passion pour les voitures de sport. Début 1979, il rencontre un ancien bon joueur argentin, Tito Vasquez qui le persuade de travailler plus sérieusement. Entraînement physique, travail technique, amélioration de la concentration, les résultats ne se font pas attendre. Vainqueur à Nice, demi-finaliste à Monte-Carlo,  il arrive à Roland-Garros bien préparé. Contre Vilas, il déroule un tennis offensif et agréable, qui ne laisse pas le temps à l'argentin de réagir. Pourtant connu pour sa patience et sa résistance physique, Vilas est littéralement asphyxié par la force de frappe de son adversaire et ses attaques répétées. Score finale pour Pecci 6-0 6-2 7-5 !  

Gene Mayer, 22 ans. Avec sa 
raquette à moyen tamis, il 
gagne le double de Roland-
Garros avec son frère Alex
Victor Pecci : l'homme au diamant
à l'oreille, tombeur de Connors.
Connors-Pecci, c'est l'affiche surprise de la première demi-finale. Et personne dans le public n'imagine Pecci capable d'aller plus loin. Surtout, personne ne souhaite la défaite de Connors, qui priverait Roland-Garros de la grande finale tant attendue contre Borg ! C'est pourtant ce qui va se produire. L'américain qui est arrivé à Roland-Garros sans préparation particulière va vite montrer ses limites sur terre battue. Trop confiant, il est ccroché dans le premier set qu'il perd 7-5, puis il est rapidement mené 3-0 dans le deuxième. Connors va alors se retrouver pleinement. Pendant 4 jeux, on le vit tout tenter et tout réussir : tous ses coups trouvent les lignes, ses passings transpercent Pecci, et ses attaques sont tranchantes... 4 jeux de rêve qui auraient pu faire basculer le match si il y en avait eu un cinquième. Hélas, Connors ne peut tenir ce rythme infernal, et quelques erreurs sur les points importants lui coûtent le deuxième set. Mené deux sets à rien, c'est la pire des situations pour l'américain qui serre enfin le jeu. Il assure son service et attend sagement la première occasion de faire le break. Il emporte le troisième set 7-5, mais ce ne sera pas suffisant. On pense que Connors a pris la mesure de son adversaire, mais il est fatigué. Il subit les attaques de Pecci, et ne joue plus les points importants avec la lucidité et la patience nécessaires. C'est finalement fort logiquement qu'il sincline 6-4 au quatrième set. Dans le public, c'est la consternation ! En battant Connors, Pecci ne fait pas que remporter une grande victoire, il commet surtout un crime de lèse majesté que certains auront bien du mal à lui pardonner. On ne verra pas de finale Borg Connors à Roland-Garros, et c'est bien dommage...

L'instant de la victoire sur Connors ! 
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Personne ne s'attend à une nouvelle surprise pour cette finale inédite. Borg qui vient de pulvériser Gerulatis en ne lui laissant que 3 jeux, est au sommet de son art. L'américain N°3 mondial vient pourtant de remporter les internationaux d'Italie ! Contre Pecci, la machine à broyer recommence son infernal travail de sape. Devant un public résigné et habitué à des finales expéditives, les jeux défilent à toute allure: 6-3, 6-1, 5-2 pour Borg, service à suivre. Retours liftés dans les jambes, passings imparables, lobs liftés, services et volées tranchantes, Borg déroule son tennis complet avec constance et sérénité. La cause semble entendue, et on se demande même si Connors aurait pu faire mieux ! 
Borg n'a plus que quatre services à faire pour gagner, et pourtant, l'inimaginable va se produire . Trop confiant, le suédois attend la faute de l'adversaire pour conclure. C'est une brèche dans laquelle s'engoufrre le fougueux paraguayen. Prenant tous les risques en attaque devant un Borg soudain déconcentré et qui a du mal à retrouver ses marques, il égalise à 5 partout. Dans le public, c'est du délire, et Pecci empoche le tie-break de justesse 8 points à 6 ! Le roi Borg va-t-il trembler? Il n'en sera rien et on va vite être fixé. Inquiet, le suédois serre le jeu et va se contenter d'assurer son service. Et quel service : il réussit 93,5% de première balle dans ce dernier set, du jamais vu ! Devant une telle réussite, Pecci ne peut que faire le spectacle en attaquant à outrance. Borg ne rate pas la première occasion de faire le break, et empoche tranquillement le set 6-4. C'est sa quatrième victoire. Mais c'est au perdant que le public fait une immense ovation, et ses supporters iront même jusqu'à le porter en triomphe à travers le court central ! Ces deux derniers sets disputés - il est le seul à avoir résisté un peu à Borg - feront de Pecci la nouvelle coqueluche du public, finalement prêt à lui pardonner son hold-up de la demi-finale contre Connors ! Déjà, on espère le revoir en finale l'année prochaine, et pourquoi pas, l'emporter cette fois !

<== Borg au sevice. Une arme redoutable qui suffit à lui assurer une énorme marge de sécurité sur tous ses adversaires.

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Pecci porté en triomphe.
C'est pourtant lui qui a perdu !

Et de quatre pour Borg !
La routine déjà...
Pour Roland-Garros, l'édition 1979 permet d'ouvrir une nouvelle page de sa grande Histoire. La présence de Connors a donné une nouvelle jeunesse au tournoi, et le public sait maintenant que le meilleur tennis du monde se joue à Paris, comme à Wimbledon ou à Flushing Medow. Pour les organisateurs, l'avenir s'anonce radieux : un nouveau court de 4500 places est en construction, des records d'affluence ont été battus et pour la première fois, la télévision a couvert l'événement pendant toute la quinzaine. Connors, tout sourire après sa défaite, a fait l'éloge du tournoi et de son organisation, il a promis qu'il reviendrait. L'on se demande déjà qui affrontera Borg en finale l'année prochaine : Pecci ? Connors ? A moins que John McEnroe...

Tennis de France :
"Pecci le Magnifique"
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Dernière mise à jour : 10 avril 2010
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Avril 2010. .