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Ian Kodes. En 1970, les joueurs des pays de
l'Est font le spectacle à Roland-Garros.
(48) 1970 : WCT contre Grand Prix

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Deux ans à peine après la victoire de l'open, le tennis international connaît de nouvelles difficultés, car il est divisé entre professionnels indépendants et joueurs sous contrat avec des promoteurs. Pour contrer Lamar Hunt et son circuit privé, la fédération internationale, mit en place le Grand Prix, ancêtre de l’ATP Tour actuel. L’objectif était de parrainer un calendrier de tournois sur toute l’année, chaque tournoi étant classé dans une catégorie selon le montant des prix distribués. Des points étaient attribués aux joueurs en fonction des résultats; les 6 premiers classés se retrouvaient pour une phase finale appelée «Masters» (tournoi des Maîtres) jouée selon la formule d’une poule unique. La firme Pepsi-Cola sponsorisait le Grand Prix et assurait le financement du Masters. Le Grand Prix Pepsi, comme on l'appela bien vite, s’inspirait en grande partie des idées de Jack Kramer, fervent militant de l’open et favorable à une organisation qui laisserait les joueurs professionnels libres de participer aux tournois de leur choix tout en respectant un certain nombre de règles. Cela avait également l’avantage de démocratiser le spectacle en organisant des tournois sur les 5 continents. 
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De son côté, le promoteur texan Lamar Hunt ne restait pas inactif. En injectant un maximum d’argent dans son circuit privé, qui se déroulait essentiellement en Amérique du Nord, Hunt souhaitait y attirer les meilleurs joueurs du monde. La WCT se retrouvait ouvertement en concurrence avec le Grand Prix. Dans le courant de l’année, les événements vont se précipiter : en mai, le groupe Texan absorbe la National Tennis League de Laver et Rosewall, et se retrouve avec un groupe de 24 joueurs sous contrat. 
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L'affiche du Challenge Round
Allemagne-USA 1970
  La grande victime de cette guerre pour le contrôle des grandes épreuves, c'est la vieille coupe Davis, restée chasse gardée des fédérations. Les professionnels sous contrat en restaient exclus. Dévalorisée par l’absence des meilleurs, l’épreuve perdait beaucoup de son intérêt. En 1969, les américains, emmenés par Arthur Ashe, avaient écrasé dans l’indifférence générale la modeste équipe roumaine dans laquelle Ilie Nastase, 23 ans, n’était encore qu’un espoir. En 1970, ce sont les allemands qui se hissent jusqu’en finale, écrasés eux aussi 5/0. Les finales inter-zone et le challenge round, autrefois les sommets de la saison, ne provoquent plus que des souvenirs nostalgiques. Arthur Ashe, dégoûté, menaçait d’ailleurs de ne plus participer à l’épreuve si les professionnels sous contrat en restaient exclus, ce qu’il fera dès l’année suivante…

Les tournois du grand chelem cherchent leur voie dans ce nouveau monde impitoyable qu’est l’open. Dès le début de l'année 1970, les choses commencent mal. Echaudés par le désastre financier de l’année passé, les dirigeants australiens refusent les exigences  financières de la National tennis League avec Laver, Rosewall, Stolle, Emerson, Gonzalez et quelques autres. Laver ne vient donc pas défendre son titre. Dans ce contexte, c’est Arthur Ashe qui s’impose en finale contre le modeste australien Dick Crealey. Un championnat d’Australie 70 qui restera marqué surtout par un score fleuve qui nous laissent rêveurs : en quart de finale, Raslton bat Newcombe 19-17 22-20 4-6 6-3 !!! Tie-break, tu n'es plus très loin...

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A Roland-Garros, la crise qui couvait éclate au grand jour. La WCT qui vient d’absorber la National Tennis League est en position de force et Lamar Hunt, qui n’est pas un philanthrope, demande d’importantes garanties financières pour déplacer ses joueurs. La fédération française refuse et c’est un bien triste tableau  qui est proposé aux spectateurs français. La tête de série N°1 est Ilie Nastase, brillant en coupe Davis mais qui n’avait même pas passé un tour l’année précédente. Certes, tous les meilleurs joueurs européens sont présents, et l’équipe américaine de coupe Davis emmenée par Ashe, Richey et Smith est bien là, mais tout de même. Roland-Garros ressemble tout à coup à un tournoi de second rang et son statut de tournoi du grand chelem s’en trouve fragilisé. Où étaient donc les grands australiens vainqueurs des 5 dernières éditions ? Le public ne s’y trompait pas et les silhouettes de Laver et Rosewall hantèrent les allées du stade pendant toute la quinzaine. Parmi les inscrits, on ne retrouvait qu’un seul quart de finalistes de l’année précédente, et seulement deux huitièmes de finalistes : Franulovic et Kodes. 

Ian Kodes
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Franulovic
  Nastase ne profite pas de ce tableau dévalorisé pour s’imposer. Il est décevant en quart de finale contre un Cliff Richey solide comme un roc. Le fantasque roumain ne semblait pas près à faire la conquête de Roland-Garros. Le public se console avec le blond yougoslave Franulovic, qui confirme au passage tout le bien que l’on pensait de lui. «Franu» est le bourreau de l’équipe américaine : il bat Ashe après une superbe empoignade où l’on vit probablement le plus beau tennis du tournoi. En demi-finale contre Richey, il montre de sérieuses qualités mentales en sauvant deux balles de match au quatrième set. L’américain, privé de justesse d’une place en finale, quitte le court de très mauvaise humeur et on le comprend. Il a mené 5/1 sur son service au quatrième set!  Trop nerveux, il fait deux double-fautes. A 5/3, il mène encore 40/15 mais une nouvelle double-faute et une volée dans le filet permettent à Franulovic de revenir cette fois définitivement. 
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Côté français, c’est la bonne surprise. Georges Goven, grand espoir du tennis français, réalise la meilleure performance de sa carrière en battant successivement Santana, deux fois vainqueur de l’épreuve, puis François Jauffret, avant d’échouer normalement contre Kodes en demi-finale. Goven ne devait jamais confirmer ces bonnes performances par la suite. Quant à Santana, il saura prendre sa revanche un mois plus tard en coupe Davis dans ce même stade en pulvérisant les français sur le score cruel de 5/0 !
 
Couverture de tennis de France, juin 70==>
C'est Kodes qui gagne, mais c'est Goven qui
a les honneurs de la couverture.
 
 
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A 24 ans, Ian Kodes remporte son premier Roland-Garros.
  Dans cette ambiance un peu morose, le public eut du mal à s’enthousiasmer et les joueurs de l’Est sauvèrent le spectacle. Hélas, le héros de la quinzaine, Franulovic passe complètement à côté de la finale, probablement épuisé physiquement et nerveusement par ses marathons de la semaine écoulée. Kodes fait une démonstration de force et termine par un magistral 6/0 en un peu plus d’une heure. Une finale avec peu d’échanges qui ressembla plus à une leçon qu’à une partie de tennis. Le public frustré applaudit quand même chaudement la victoire du Tchèque, solide de bout en bout et dont la marge de progression semblait encore importante. 
Ce Roland-Garros 1970 laisse un souvenir un peu amer. Du spectacle certes, mais peut-on encore parler de tournoi du grand chelem en l'absence des 24 joueurs professionnels sous contrat ? Et peut-on encore parler d'open ? Pour les amoureux du tennis et les tenants de la tradition, une longue bataille allait commencer pour faire de Roland-Garros le championnat du monde sur terre battue et le point de passage obligé de tous les professionnels. Menée courageusement par Philippe Chatrier, président de la Fédération française puis de la fédération internationale, cette bataille allait durer dix ans...

En attendant, tout le monde a déjà les yeux tournés vers Wimbledon où tous les pros cette fois ont répondu présents.

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Dernière mise à jour : 10 avril 2010
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Avril 2010. .