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(41) 1965-1966
Santana seul contre les australiens
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L’année 1965 commence en ressemblant étrangement à la précédente, et il n’est pas très intéressant de s’étendre sur les trois premières finales du grand chelem, toutes les trois 100% australiennes. Fred Stolle participe aux trois finales et remporte enfin son premier grand titre à Roland-Garros, Emerson gagne son deuxième Wimbledon consécutif, et seule la présence en finale de Roland-Garros d’un nouvel australien – encore un ! -, Tony Roche, 20 ans, permet d’espérer un peu de changement. Tout cela finit par lasser ! Mais face à cette oppressante domination australienne, que pouvaient donc opposer les autres nations ?

En Europe, l’espagnol Manuel Santana était au dessus du lot. A 27 ans, il avait atteint sa maturité et pratiquait un tennis brillant et imaginatif, bien différent du service volée à l’Australienne. Solide en fond de court, sachant trouver des angles et des trajectoires déroutantes, il savait varier intelligemment son jeu avec des amorties de lobs et des montées au filet toujours bien menées. Bref, Santana n’avait rien d’une brute et savait faire apprécier son subtil toucher de balle. Après sa deuxième victoire à Roland-Garros, l’espagnol rêvait enfin d’un succès sur herbe, et il était prêt à défier les australiens sur leur surface de prédilection. Détail amusant: pour lui comme pour Emerson, le problème du professionnalisme ne se posait pas pour la bonne raison qu’ils exerçaient tous les deux le même métier: Santana était responsable des relations publiques en Espagne pour la firme de cigarettes Malboro comme Emerson l'était en Australie pour Philip Morris!


Jan-Erik Lundquist 

Pierre Darmon.
  Ses rivaux en Europe s’appelaient Pietrangeli, Lundquist et Darmon. Déjà plus que trentenaire, l’italien était en fin de carrière et n’avait pas de successeur dans son pays. Plus jeune, le suédois Lundquist était un bon spécialiste de terre battue et un redoutable joueur de coupe Davis. En 1964, il avait réussi à emmener son pays en finale interzone après avoir battu les français en finale européenne. A titre individuel, Lundquist  avait obtenu son meilleur résultat à Roland-Garros également en 1964, où il avait été demi-finaliste.

Côté Français, Pierre Darmon était le leader incontesté de l’équipe de France depuis plusieurs années et régulièrement classé dans les 10 meilleurs amateurs. Mais à presque 30 ans, sa carrière est déjà derrière lui et il ne renouvellera jamais son exploit de 1963 où il avait atteint la finale de Roland-Garros. Pierre Darmon pratiquait un très beau tennis, très classique, très complet et il avait un mental de champion. Mais une relative faiblesse en service ne lui permit jamais d’avoir des bons résultats sur herbe, bien qu’il ait atteint la finale du double de Wimbledon en 1963 avec un autre français, Jean-Claude Barclay. Ce dernier pratiquait un tennis étonnant et novateur pour l’époque avec son étrange revers à deux mains, mais il était très inconstant et incapable de gagner un match important, notamment en coupe Davis. Enfin, la France comptait beaucoup sur Pierre Barthès, 20 ans, qui savait montrer de bien belles choses avec un tennis classique et brillant. Mais s’il savait se montrer certains jours l’égal des plus grands, il connaissait des passages à vide étonnants et perdait d’une façon déroutante des matchs en apparence faciles, notamment en coupe Davis. Mais il choisira de passer professionnel très tôt à la fin de l'année 1965.

Aux Etats-Unis, Chuck McKinley, authentique étudiant en Mathématiques, était en fin de carrière. Le N°1 Denis Raslton était un très bon joueur de double, mais en simple, il était très inconstant, incapable de maîtriser sa nervosité sur les points importants des matchs indécis. En coupe Davis, il connut d’étonnantes défaites contre des joueurs plus faibles mais plus motivés. Les autres américains sont encore des espoirs qui doivent faire leurs preuves et conquérir leur place en coupe Davis: il s’appellent Cliff Richey, Stan Smith, Clark Graebner, Marty Riessen et surtout Arthur Ashe. Nous en reparlerons.
Sur le continent américain, deux autres nations émergent du lot : le Mexique et le Brésil.  Mais si leurs joueurs sont en général d’extraordinaires combattants en coupe Davis, ils ont plus de mal à titre individuel. Le Mexique emmené notamment par Rafael Osuna, ne parviendra pas à renouveler son exploit de 1962, année où il était arrivé en finale de la coupe Davis. Quant aux brésiliens Koch et Mandarino, c'est en coupe Davis qu'ils réaliseront leurs plus grands exploits...
Sur les autres continents, il faut encore signaler l’Afrique du Sud emmenée par l’explosif Cliff Drysdale et son formidable revers à deux mains qui annonçait déjà Borg et Connors. Enfin en Inde, était apparu le premier d’une lignée de grands champions avec Krishnan. Héritiers des traditions de l’ancienne puissance coloniale, Krishnan était un excellent joueur sur herbe et atteignait régulièrement depuis plusieurs années les places d’honneur à Wimbledon. Il réussira à lui tout seul à emmener son équipe en finale de la coupe Davis en 1966!

Arthur Ashe en 1966.
Un des plus sûrs espoirs 
du tennis américain.

Santana, qui frappe,et Arilla,
héroïques en double contre les 
USA à Barcelone, Août 1965.
  Mais revenons à Santana. Classé N°2 amateur derrière Emerson, l’espagnol est blessé en début de saison et préfère s’abstenir de Roland-Garros et de Wimbledon. Il va ensuite réaliser une formidable fin de saison. D’abord en coupe Davis où il réussit une campagne exceptionnelle: victoires sur la Grèce, le Chili, l'Allemagne, la Tchécoslovaquie et l'Afrique du Sud, il triompheenfin prersque à lui tout seul de l'équipe américaine en finale interzone. Le match eut lieu à Barcelone sur terre battue, et la victoire espagnole eut un immense retentissement à travers tout le pays. Contre Ralston et Graebner en double, Santana, associé au modeste Arilla, réussit à maintenir le moral de son partenaire intact pour remonter 2 sets et l'emporter finalement 4-6 3-6 6-3 6-4 11-9! Les deux espagnols furent portés en triomphe dans tout le stade dans la grande tradition des corridas (la tradition des oreilles et de la queue en moins!) Cette qualification pour la finale de l’épreuve contribua grandement à populariser le tennis dans une Espagne où ce sport était encore réservé à une élite. 
Transcendé par cette victoire, Santana remporte dans la foulée son premier tournoi sur herbe à Forest Hills. Stolle et Emerson en petite forme sont battus dans les premiers tours, c’est donc sans grande opposition que l’Espagnol arrive en finale pour battre un invité surprise, le sud-africain Cliff Drysdale. Après 5 finales consécutives en grand chelem 100% australiennes, ça fait du changement! Le public américain ravi put enfin apprécier un tennis plus captivant que celui des habituelles finales Emerson-Stolle devenues si ennuyeuses... Cette victoire faisait de Santana le premier européen à remporter Forest Hills depuis Perry en 1936. Cela continua quand même de désoler le public américain qui n’avait pas vu un des ses champions gagner chez eux depuis Trabert en 1955. La consolation  est venue des jeunes espoirs: Arthur Ashe a éliminé Emerson et n'a chuté qu'en demi-finale face à Santana, et Charlie Pasarell prit le meilleur sur Stolle. Quant à Ralston, fatigué et mal remis des ses déboires en coupe Davis, il disparut face à Drysdale après une longue bataille en 5 sets.

Santana avec Bob Kennedy, Forest Hills, 1965
A doite, le finaliste Cliff Drysdale avec 
son revers à deux mains.
 
Les australiens sont prévenus, Santana sait aussi gagner sur herbe. Mais en face de la formidable équipe composée de Emerson, Stolle, Newcombe et Roche, personne ne donne à l’espagnol la moindre chance de remporter ses trois matchs à lui tout seul. La finale jouée à Sydney fin décembre est sans surprise. Santana manque de peu la victoire sur Stolle le premier jour (7-5 au cinquième après avoir mené deux sets à zéro) et dans le cinquième match, alors que son équipe est déjà menée 4/0, il inflige à Emerson sa première - et unique - défaite en coupe Davis.

Gisbert, Santana, Emerson et Stolle, Coupe Davis 1965.

Coupe Davis 1965: Santana tente le passing contre 
Emerson au filet.
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Santana aborde l’année 1966 avec Wimbledon comme principal objectif. Il fait l’impasse sur Roland-Garros pour mieux préparer son affaire. Emerson est encore le grand favori, mais il se blesse stupidement en quart de finale en percutant la chaise d’arbitre. Pour l’espagnol, la route est libre mais pas sans embuches. Il doit encore batailler 5 sets contre deux autres australiens, Fletcher et Davidson (7-5 au cinquième à chaque fois) avant d'atteindre la finale. Contre Dennis Raslton, il remporte en trois sets son quatrième succès en grand chelem.
 
 

Raslton (à g.)félicite son vainqueur.
Balle de match! Santana va remporter Wimbledon, 1966.
Ce sera sa dernière grande victoire. Moins constant les années suivantes, il aura le triste privilège d'être le seul tenant du titre de Wimbledon battu au premier tour l'année d'après. Mais il faut souligner l'immense mérite de Manuel Santana qui, au cours des quatre dernières années du tennis amateur, (1964-67), fut le seul non australien à avoir remporté des titres en grand chelem...
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Dernière mise à jour : 10 avril 2010
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