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Roland-Garros 1982: une porte s'ouvre 
sur le tennis, mais Borg n'est plus là !
Qui va sortir de cette ouverture ?
(71) 1982 :
De Borg à Wilander
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En septembre 1981, eut lieu une importante réunion des dirigeants du tennis, avec des représentants de la Fédération internationnale propriétaire du Grand Prix, et de l'ATP.  En effet, il y a un problème : menacés par la WCT de Lamar Hunt, qui a décidé de faire délibérément concurrence aux tournois du Grand-Prix pour 1982, et inquiets du nombre grandissant de très lucratifs tournois exhibitions ne réunissant que 4 joueurs, les dirigeants du tennis ont décidé de prendre des mesures pour protéger leurs intérêts. La nouvelle règle applicable en 1982 est en principe simple : pour avoir le droit de participer aux tournois du Grand Prix sans passer par les qualifications, tout joueur professionnel classé dans les 200 premiers à l'ATP devra s'engager en début de saison à participer à un minimum de 10 tournois - non compris les tournois du grand chelem. En plus d'éviter les desertions,l'objectif de cette mesure était double :
- garantir un minimum de participation de haut niveau dans les tournois de seconde ou troisième catégorie, pour attirer le public, et donc garantir des recettes aux organisateurs
- permettre au joueurs modeste de gagner honnêtement leur vie tout au long de la saison,grâce à la participation des plus forts
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Cette règle n'avait rien de très contraignant. Un joueur professionnel devait donc s'engager à avoir un minimum d'activité de 10 semaines maximum dans la saison (hors grands chelems) dans les tournois du grand prix. Cela laissait à chacun environ 8 mois de liberté, ce qui permettait à ces jeunes gens de prendre toutes les vacances qu'ils voulaient. En prenant cette sage décision en 1981, le conseil professionnel - en accord avec les représentants de joueurs qui y siègent - est convaincu d'avoir établi une règle simple et raisonnable qui garantira le succès du Grand-Prix 1982. Pour résumer, un joueur qui ne s'engagerait pas à joueur au moins 10 tournois se verrait alors contraint de disputer les qualifications de tous les épreuves du Grand Prix, Grands Chelems compris. L'objectif avoué était de lutter contre les promoteurs privés (le texan Lamar Hunt et sa WCT) et contre le nombre grandissants de tournois exhibition sans grandes significations sportives...
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes du tennis professionnel quand Borg lance un gros pavé dans la mare. Après le Tournoi de Tokyo en novembre, il annonce son intention de prendre 5 mois de vacances : il ne jouera pas le Masters et il ne reprendra pas la compétition avant le tournoi de Monte-Carlo en avril. De plus, il a l'intention d'alléger considérablement son programme, et de ne participer qu'à 7 tournois en plus de ceux du grand chelem. Il demande donc tout naturellement au conseil professionnel une dérogation ! Allait-on faire une exception pour le N°2 mondial, tenant du titre de Roland-Garros, ou allait-on sévir, prenant le risque d'en faire une victime aux yeux du public ?
Réunis à New-York pendant le Masters en janvier, le conseil décide finalement qu'il ne pouvait se déjuger en n'appliquant pas une règle qu'il venait à peine de mettre en place.  Faire une dérogation à Borg, c'était prendre le risque de la faire à tout le monde. Et demander à Borg de s'inscrire dans trois tournois supplémentaires ne semblait pas une grosse contrainte. Si le champion suédois, refusait de se plier à la règle commune, il se verrait obligé de passer par les qualifications de tous les tournois du Grand Prix auxquels il souhaitait participer... y  compris Roland-Garros !

Borg signe son engagement à Monte-Carlo
5 minutes avant la clôture. Il accepte
de passer par les qualifications...
Tout aurait du s'arranger entre gens de bonne compagnie, mais Borg s'entête. Pour ne pas jouer trois tournois de plus ? Pour profiter à tout prix de 3 semaines de vacances supplémentaires ( en plus des 8 mois que lui autorise le nouveau règlement) ? Pour une question de principes ? On reste perplexe. Mais les positions affichées par les deux parties allaient vite tourner à l'affrontement par journaux interposés. La loi semble dure mais c'est la loi, disait le conseil professionnel, en affirmant tout de même que la loi en question n'était pas si dure que ça. 
"Je peux bien faire ce que je veux de mon calendrier" répondait Borg, "Après 10 ans de campagnes et 11 titres du grand chelem, qu'ai je à prouver de plus dans les petits tournois pour lesquels je n'aurai aucune motivation" ?
Mais les décisions étaient prises, et personne ne voulut avoir l'air de céder. Après 5 mois de vacances, le suédois annonce finalement qu'il se pliera au règlement, tout en manifestant son mécontentement. Le 1er avril, Borg confirme sa participation à Monte-Carlo 5 minutes avant la clôture des inscriptions. Il fait donc sa rentrée en étant obligé de disputer les qualifications comme les nombreux anonymes du circuit... 
La situation sentait le ridicule, mais que faire ? Après trois matchs laborieux avec des hauts et des bas, il bat l'espagnol Luna au premier tour, puis plus sérieusement Panatta au second en trois sets. Borg enchaîne le meilleur et le pire, alternant de bonnes séries de coups avec d'étranges passages à vide pendant lesquels il semble totalement absent. Il avoue des problèmes de concentration, mais quand il affronte ensuite Yannick Noah pour son sixième match d'affilé, il n'est plus là. Devant l'étoile montante du tennis français, Borg donne l'impression de se désintéresser totalement du match. Fautes grossières, attaques précipitées et suicidaires au filet, décontraction, sifflotements et sourires pendant les changements de côté, Borg laisse filer le match (6-1 6-2) et quitte précipitamment Monte-Carlo le jour même. La rumeur court ensuite rapidement : Borg ne jouera pas à Roland-Garros si il doit disputer les qualifications. Rumeur vite  confirmée dès la semaine suivante : Borg annonce officiellement son forfait pour Roland-Garros et Wimbledon !
Borg à Monte-Carlo, pour son
premier match contre Paulo Bertolucci
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Borg quitte Monte-Carlo dépité.
Il va vite prendre des décisions...
La suite ne fait que confirmer son état d'esprit. Après quelques exhibitions lucratives, Borg se présente à Las Vegas pour son deuxième tournoi de l'année. Il est battu au deuxième tour des qualifications par Dick Stockton - un ancien demi-finaliste de Wimbledon - après un match quelconque. Cette fois, le suédois ne cache pas sa déception. Il annonce son forfait pour le tournoi de Hambourg, puis quelques jours plus tard, pour toutes les épreuves du grand Prix de l'année y compris Flushing Meadows. "Je manque de compétition", dira-t-il pour se justifier. C'était une évidence. Exit donc Borg du circuit pour le reste de l'année, et le Roland-Garros millésime 82 s'annonçait pour la première fois depuis longtemps comme particulièrement ouvert et passionnant.

 
Du coup, on se bouscule au portillon des favoris. On pense d'abord à Connors, formidable combattant et que l'on dit en grande retour de forme malgré ses 30 ans. Débarrassé de sa bête noir, l'américain pourrait bien profiter de l'occasion. Autre grand favori, l'argentin Vilas, déjà vainqueur en 1977  et qui vient de remporter 4 tournois lors de la saison européenne : Rotterdam, Milan, Monte-Carlo et Madrid. Les autres favoris sont Lendl, brillant finaliste l'an dernier et vainqueur du masters en janvier, Clerc qui était passé à un point d'une place de finaliste contre le même Lendl, et Gerulatis, toujours flamboyant et finaliste malheureux en 1980. Côté français, on espère que Yannick Noah en pleine ascension, jouera les trouble fêtes. N'a-t-il pas battu Vilas l'an dernier ? Enfin, le jeune équatorien Gomez, récent vainqueur à Rome pourrait bien créer quelques surprises. Quant à McEnroe, il a préféré déclarer forfait, suite à un début de saison moyen et une blessure à la cheville mal remise.

Tennis de France Mai 1982
La succession de Borg est ouverte.
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Dans la moitié du tableau de Vilas, tout se passe à peu près comme prévu, et l'argentin arrive en finale sans perdre un set. Seule grosse surprise, la défaite en trois petits sets de Connors en quart de finale face à un José Higueras intraitable. L'espagnol est un grand spécialiste de la terre battue, et se remet tout juste d'une pénible hépatite virale. Sa victoire est méritée, mais il ne tiendra pas la distance. En demi-finale, devant un Vilas qui sautille comme jamais et délivre des boulets de canons liftés du fond du court, il est usé et balayé comme tout le monde. Yannick Noah en quart avait été lui aussi dominé en trois sets 7-6 6-3 6-4. En pleine confiance, l'argentin semble se diriger vers une victoire facile...
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Dans l'autre moitié du tableau, par contre, c'est la débandade. Tout commence en huitième de finale quand Lendl mène deux sets à un face au suédois Mats Wilander, 17 ans, vainqueur du tournoi junior l'an passé. Trop confiant, le tchèque ne se méfie pas et espère conclure sans trop se fatiguer. Il a tort : Wilander a commencé l'année à la 36eme place de l'ATP, et c'est presque sans se faire remarquer qu'il a atteint la 18eme place après sa récente demi-finale à Rome. Infatigable du fond du court, avec des jambes de marathonien, Wilander montre une étonnante patience et une concentration à toute épreuve. Il use Lendl qui s'énerve, et craque dans la cinquième set à vouloir conclure trop vite. 

Mats Wilander, surprenant successeur de Borg
Cette victoire, il faut bien le dire, n'enchante guère le public. Le tennis terriblement ennuyeux pratiqué par le suédois est vu comme destructeur par les connaisseurs. Planté derrière sa ligne de fond, il attend tranquillement l'occasion de placer un passing de revers lifté, tendu ou lobé, qu'il réussit invariablement avec une incroyable précision. Les plus courageux finissent par craquer. A n'en pas douter, il faudra un fort caractère pour venir à bout de cet infatigable renvoyeur. Et c'est finalement sans trop de surprise que l'on voit Gerulatis, avec son jeu d'attaque, exploser en 4 sets au tour suivant, incapable de trouver la clé de la forteresse Wilander.

José-Luis Clerc
Déjà surprenant, le parcours du jeune suédois aurait pu s'arrêter là. Face à José Luis Clerc, un vrai spécialiste de la terre battue, il n'est pas favori. De plus, devant la perspective quasi certaine d'une finale 100% argentine, la presse et les télévisions de ce pays ont soudain pris d'assaut le court central. L'ambiance promet d'être chaude : l'argentin est passé à un point d'une place en finale l'an passé, il a une revanche à prendre. Et puis il est prévenu, il faudra être patient dans l'échange. Clerc va vite déchanter : il perd les deux premiers sets, et ne trouve pas la faille de cet infatigable renvoyeur qui joue comme un véritable mur. Il s'énerve enfin dans le troisième qu'il gagne 6-1, mais ne tient pas la cadence. Il s'accroche dans le quatrième jusqu'à 5 partout, mais il est physiquement au bout. Sur la balle de match, l'argentin sort un coup droit décroisé d'un cheveux, et l'arbitre annonce la victoire de Wilander quand Clerc fait un scandale : la balle est bonne et il réclame le point ! Pour Jacques Dorfman, arbitre expérimenté, c'est une première, mais il n'a pas de raison de se déjuger, et commence à descendre de sa chaise... 
Et c'est là qu'en plus d'une place en finale, Wilander va faire la conquête du public, un public qui jusque là regardait ce jeune suédois plus comme un empêcheur de jouer au tennis qu'un véritable futur champion ! Wilander va dire quelques mots à l'arbitre qui annonce alors "A la demande de Wilander, on rejoue le point". Dans le stade, c'est du délire : une véritable ovation salue ce geste sportif. Et c'est avec tout le stade derrière lui que Wilander confirme sa victoire quelques secondes plus tard sur une nouvelle faute de l'argentin, directe dans le filet cette fois. (voir la deuxième balle de match sur youtube).   

Mats Wilander demande à
l'arbitre de remettre le point

Wilander bien planté derrièrs sa ligne de
fond pendant la finale. Voir un extrait de
la fin du 2eme set sur youtube
  Vilas contre Wilander : c'est donc une finale inédite et pleine de mystères. Les argentins sont déçus, mais confiants dans la solidité de leur dernier représentant. Son expérience et sa motivation devrait vernir à bout de l'inusable suédois qui, à dix-sept ans, pourrait bien commencer à montrer quelques signes de fatigue après sa série de matchs longs et difficiles... Le premier set semble donner raison à ceux qui prédisent une victoire facile de Vilas. L'argentin tient l'échange du fond du court et frappe comme un sourd sur toutes les balles. C'est lui qui a le dernier mot sur les points importants, et il gagne le premier set 6-1. Un échange verra la balle passer 66 fois pas dessus le filet ! On s'ennuie ferme dans les tribunes, même si la plupart des jeux vont à 40A. En fait, Wilander a très intelligemment commencé un incroyable travail de sape en jouant long, haut et mou sur presque tous ses coups. Du coup, c'est Vilas qui est obligé de frapper et de donner de la vitesse à la balle. Le deuxième set est plus équilibré. Wilander commence à assurer son service et le public s'arme de patience. A 6-5, Wilander est à deux points du set sur le service de Vilas qui ne craque pas. Quelques points commencent à se gagner au filet des deux côtés. Le tie break du deuxième set, si important sera l'occasion de constater que Wilander a également un très bon service qu'il sait utiliser au bon moment. Avec sang-froid, il écarte une balle de set à 6-5 sur une grosse première, et empoche le deuxième set deux points plus tard. C'est le tournant du match. Le deuxième set a duré 1h40mn !
Et l'argentin craque ! Après plus de deux heures de jeu, c'est un Vilas méconnaissable qui laisse filer le troisième set. Il est épuisé, alors que Wilander continue son incroyable pilonnage de la ligne de fond en faisant courir l'argentin. Après après frôlé le KO technique et raté l'occasion de mener deux sets à zéro, Vilas encaisse un sévère 6-0 dans la troisième manche, ce qui achève de détruire son moral. Il a encore un sursaut d'orgueil au début du quatrième set en menant 2-0. Mais les points sont trop durs à gagner : il accumule les fautes et perd deux fois son service. Mené 4-2, il lutte encore sur tous les points et recolle à 4-4. En face aussi, Wilander montre des signes de fatigue, et c'est au filet que le suédois ira chercher le break décisif. Cette fois, c'est bien fini, score final 1-6 7-6 6-0 6-4. L'incroyable, vient de se produire, le petit Poucet a dévoré l'ogre, et la Suède reste reine à Roland-Garros. L'ombre du grand Borg a plané sur le central pendant toute la quinzaine, et l'immense mérite de Wilander est d'avoir réussi à le faire oublier...  

Deux images de la finales Vilas-Wilander

 
Dans la stade, c'est du délire. C'est à la fois la plus longue finale de Roland-Garros (4h42mn) et le plus jeune vainqueur de l'histoire du tournoi : 17 ans et 9 mois. On en oublierait presque les points si ennuyeux et le jeu si destructeur en apparence du suédois, pour ne retenir que l'incroyable leçon de stratégie que vient de donner Mats Wilander. Et quelle lucidité ! Et quelle concentration ! En remontant vers la tribune présidentielle pour recevoir le trophée, il n'aura que ce commentaire laconique : "I can't beleave it, I can't beleave it !".

L'éditorialiste de "Tennis de France" ne s'y trompe pas, partagé entre admiration et déception : "On ne peut être que partagé entre deux sentiments : admiration sans bornes pour l'exploit réalisé par Mats Wilander à 17 ans (...), et une consternation également sans bornes devant le second souffle qu'il vient de donner au jeu de fond de court , second souffle qui risque de durer longtemps étant donné l'extrême jeunesse et les évidentes qualités de champion, tant sur le plan mental que physique, du suédois".


Mats Wilander brandit la coupe des 
mousquetaires devant Jean Borotra, 
vainqueur en 1931
En fait, l'éditorialiste de Tennis de France se trompe un peu, mais pas de beaucoup et c'est tant mieux. Les deux années qui vont suivre verront le retour du tennis d'attaque et du panache, incarnés successivement par Yannick Noah, puis John McEnroe. Le premier triomphera, le second échouera d'un souffle, et les représentants du tennis de renvoyeur, incarnés pas Mats Wilander et Ivan Lendl, auront quand même un peu de  mal à s'imposer définitivement...

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Mars 2000. Mise à jour Mai 2009