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Budge
Images cadeau de 
paquet de cigarettes
(18) 1938:
Le grand chelem de Donald Budge
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En cette fin d’année 1937, Donald Budge est au sommet, et il ne fait guère de doute que dès ce moment là, le jeune américain commence à songer à une carrière professionnelle. C’est que les tournées où s’exhibaient Tilden, Perry, et Vines entre autres, rencontraient un énorme succès rapportant des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars. Invaincu depuis presque un an, le vainqueur de Wimbledon, Forest Hills et de la coupe Davis, n’avait déjà plus grand chose à prouver. Budge refuse cependant l’offre de 50.000 dollars du promoteur Jack Harris, prétextant qu’il se sentait une dette vis-à-vis des dirigeants du tennis américains, qui lui avaient permis de devenir le grand champion qu’il était. Sans doute aussi souhaite-il défendre au moins une fois la coupe Davis qui retrouvait grâce à lui le sol américain après 10 ans d’absence
Mais surtout, il accepte l’invitation australienne pour une tournée aux antipodes, et persuade les dirigeants américains de rentrer directement par l’Europe pour participer à Roland-Garros. C’est que pour diverses raisons, et notamment les éliminatoires de la coupe Davis, aucune délégation de joueurs américains n’avait fait le voyage à Paris depuis 1932… Après avoir constaté que Crawford et Perry avaient échoué de peu, Budge s’embarque donc pour l’Australie avec la ferme intention de gagner les quatre grands tournois la même année. Il a comme compagnon de voyage son partenaire de double et ami, Gene Mako.
A Melbourne, Budge ne s’attend pas à une partie de plaisir. Il y a de très bons joueurs australiens (Quist et Bromwich), un climat difficile, et un public tout acquis à la cause de ses champions. Il profite des trois semaines de voyage en bateau pour se reposer, et ne prend pas trop au sérieux les matchs d'entraînement et les tournois de préparation. Pendant les championnats australiens, il est au mieux de sa forme et c'est sans perdre un set qu'il remporte la première levée de son grand chelem, battant en finale John Bromwich sur le score sans appel de 6/4 6/2 6/1.  Le lendemain de la finale victorieuse, Budge et Mako s'embarquent pour l'Europe, direction Roland-Garros.  
Budge et Mako, images cadeau 
de paquets de cigarettes

Bugde pendant la finale
de Roland-Garros
  Et c'est le grand retour des américains à Paris.  A Roland-Garros, Budge n'a pas vraiment d'adversaires sérieux en l'absence de Van Cramm, emprisonné en Allemagne, et des australiens qui ne s'inscrivent pas cette année là dans la zone européenne. Il est archi-favori, et son principal handicap est la terre battue, surface qu'il connaît mal. On se souvenait de la mésaventure de Vines lors de la coupe Davis de 1932, lorsque que Borotra l'avait surpris dans le premier match et ne lui avait pas laissé le temps de se régler... Et c'est effectivement dans les premiers tours qu'un obscur joueur yougoslave du nom de Kukulijevic le fait souffrir jusqu'au cinquième set. L'alerte est chaude mais sans conséquence pour la suite. Bernard Destremau, qui est son adversaire malheureux en quart de finale, raconte comment il a subit la loi de l'américain : " Une merveille d'équilibre, d'aisance et de puissance. Il joue dans un style sobre, et sans prendre trop de risques. Il vous met seulement un peu plus à la pêche sur chaque coup, et vous oblige à jouer un coup difficile. C'est la grande force des super-champions."
Budge joue de mieux en mieux au fil des tours, prend confiance, monte systématiquement au filet même sur les services adverses, et impressionne tout le monde. Il bat en trois sets le yougoslave Puncec , puis en finale le tchèque Menzel en 58 minutes 6/3 6/2 6/4. L'événement est d'importance et tout le monde en a conscience: de Suzanne Lenglen qui ne cache pas son étonnement de voir l'américain s'imposer avec autant de facilité, à Pablo Casals. Le grand violoncelliste, passionné de tennis, donne même un concert pour le vainqueur le soir de la finale comme pour mieux marquer son admiration pour un artiste d'un autre genre...
R. Menzel
Pour Budge, c'est la deuxième levée, mais la déception vient du double messieurs. Le français Bernard Destremau a quand même la satisfaction de prendre sa revanche sur l'américain: la paire Pétra-Destremau bat en finale Budge-Mako sur le score de 3/6 6/3 9/7 6/1. C'est une des trop rares satisfactions françaises depuis la retraite des Mousquetaires...
 
 

 

 

Pétra, Destremau, Mako et Budge quittent le court.
Yvon Pétra  est rayonnant, Budge regarde par terre...

Incroyable photo d'après 
match Budge-Austin. 
Budge tient le micro, 
mais comment a-t-il fait 
pour convaincre Austin de 
porter toutes ces raquettes ?
   A Wimbledon un mois plus tard, Budge est cette fois impérial sur le gazon londonien. Après sa victoire au Queens, il ne perd pas un set, survolant le tournoi de toute sa classe, pulvérisant tous ses adversaires jusqu'au malheureux Austin, à qui il ne laisse que 4 jeux en finale 6/1 6/0 6/3.  Pour rendre sa domination sur le tennis mondial encore plus complète, Budge fait le triplé pour la deuxième année consécutive, remportant le double messieurs avec Mako, et le double mixte avec sa compatriote Alice Marble! L'expression "grand chelem", dans ce contexte, commence a prendre tout son sens. Et ce n'est pas fini...
Avant la dernière levée à Forest Hills, l'intermède de la coupe Davis est plus difficile que prévu. Budge gagne ses deux simples contre Quist et Bromwich, mais il perd le double avec Mako contre ces mêmes Quist et Bromwich. Les américains sont mal partis, mais le jeune Bobby Riggs, 19 ans, dont c'est la première sélection montre à cette occasion qu'il a du caractère : il réussit à battre Quist, marquant ainsi le point décisif, ce qui n'est pas une mince performance... Le successeur de Budge est tout trouvé!

Après cette avalanche de succès, la quatrième et dernière levée du grand chelem ne pouvait pas passer pour un défi, tant le supériorité de l'américain sur tous ses contemporains - joueurs amateurs s'entend ! - semblait évidente. Il se paye en effet le luxe d'un nouveau triplé : il bat en finale son partenaire de double et ami Gene Mako, en lui laissant un set à la surprise générale. Budge et Mako écrasent ensuite Quist et Bromwich - c'est la revanche de la coupe Davis -, en ne leur laissant que 6 jeux! Enfin, le mixte avec Alice Marble n'est qu'une formalité, battant 6/2 6/1 la paire australienne Coyne-Bromwich.

 

Budge et Mako
  Ça y est, c'est fini. Le premier grand chelem de l'histoire est bouclé, et de magistrale façon. Et ce n'est même pas un grand chelem, c'est une razzia! Budge ne jouait pas dans la même catégorie que les autres joueurs amateurs cette année là. Sans adversaire de sa classe, son passage chez les professionnels était devenu inéluctable. A l'annonce officielle de la signature de son contrat en octobre, il n'y eut guère de protestations, et les dirigeants du tennis américain acceptèrent cette "défection" avec philosophie. Les temps avaient changé depuis le scandale provoqué par la "trahison" de Vines en 1933.  Tout en continuant d'être rejetée par les tenants de l'amateurisme, l'existence des joueurs professionnels était admise, et les deux mondes parallèles commençaient à coexister sans heurts, mais sans contacts. Il faudra cependant attendre encore trente longues années avant qu'un joueur professionnel soit reconnu par les dirigeants de la fédération internationale comme autre chose qu'un paria...
Budge quitte le tennis amateur en laissant cependant une très forte impression: celle d'avoir été un des joueurs les plus forts de son époque. On ne peut que regretter que l'opposition n'ait pas été à la hauteur de son immense talent, mais son exploit a pour la première fois mis en évidence le décalage du monde amateur et du monde professionnel, annonçant la dévalorisation progressive des tournois du grand chelem qui ira en s'accentuant jusqu'aux débuts de " l'ère open " en 1968...

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Dernière mise à jour : 10 avril 2010
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